

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) fut l'un des théoriciens socialiste les plus influent du 19ème siècle.Considéré comme le père de l'anarchisme, il a à travers son oeuvre cherché à théoriser un socialisme non étatiste et non collectiviste, se démarquant ainsi de théoriciens comme Louis Blanc ou Karl Marx.
Auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrage et d'une immense correspondance, il fut penseur politique le plus influent de la seconde moitié du 19ème siècle chez les ouvriers1 et chez les socialistes non-marxistes. Pour autant, son oeuvre demeure aujourd'hui assez méconnue, difficile d'accès, et son héritage (controversé) est revendiqué autant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite...
Chantal Gaillard a raison de dire de Proudhon qu' il « a souvent été mal compris, victime de ses formules à l'emporte-pièce et de l'expression un peu touffue de sa pensée, mais aussi du succès du marxisme qui a empêché l'étude objective de son oeuvre ».

L'objet de ce travail va être double. D'une part, il s'agira de dégager les grandes lignes directrices de la pensée Proudhonienne en montrant comment elle se construit de manière a constituer un édifice cohérent. D'autre part, ce travail a pour but de rendre intelligible la pensée de Proudhon tout en restituant sa complexité et cela afin de la rendre accessible tant au néophyte qu'au lecteur averti.
La première partie du travail consistera donc en l'exposé des grands principes autour desquels se construit une théorie de la justice chez Proudhon. Les parties II et III montreront comment ces principes s'appliquent, dans la sphère économique et sociale (le mutuellisme), et, dans la sphère politique (le fédéralisme). Enfin, une quatrième partie aura pour but une mise en perspective, tant sur un plan critique qu'historique des principes exposés précédemment.
Il importe cependant de dire que ce travail est une lecture possible de l'oeuvre de Proudhon, en ce sens qu'elle varierait selon l'axe choisi. Une réflexion sur la sociologie de Proudhon, sa pensée juridique ou son rapport à la religion aboutirait à des considérations bien différentes4, si nous faisons références à ces aspects de la pensée de Proudhon, c'est pour montrer en quoi ils fondent ou éclairent sa conception de la justice. Ce sera donc la perspective morale, qui dans notre travail, primera sur les autres.
Le lecteur attentif constatera une certaine dissymétrie entre les différentes parties et sous partie, mais la clarté et l'exposition n'en souffriront point.
Il arrivera, que dans les parties II et III, nous renvoyons à des principes posés dans la Partie I ; ceci ce fera sous la forme : voir I.A. « Association : tout est centre et circonférence ».
I) Les bases de la pensée Proudhonienne :
A) La Justice immanente :
Proudhon considère que la justice est une faculté de l’âme, elle est le sentiment par lequel chacun reconnaît librement autrui comme un égal. Il dit à cet égard : LA JUSTICE [...] est le respect, spontanément éprouvé et réciproquement garanti de la dignité humaine, en quelque personne et dans quelque circonstance qu'elle se trouve compromise, et à quelque risque que nous expose sa défense. » Cette conception rejoint la définition qu'Aristote pose de la Justice lorsqu'il que nous entendons « signifier par justice cette sorte de disposition qui rend les hommes aptes à accomplir les actions justes, et qui les fait agir justement et vouloir les choses justes.
Chez l'un comme l'autre, ce qui caractérise la justice, c’est son caractère immanent, Proudhon refuse l’idée d’une source transcendante de la justice. Il conçoit la justice comme se déployant à mesure que les sociétés évoluent et se réforment : « Qu’est ce que la Justice ? L’essence de l’humanité. Qu’a-t-elle été depuis le commencement du monde ? Presque rien. Que doit-elle être ? Tout. »
Proudhon va adopter la perspective Kantienne de l’égale dignité des hommes, fondement de la justice mais va cependant la prolonger en lui donnant une perspective immanente, il dit à cet égard :
En posant le principe de la Justice immanente, […], j’ai fait comme Copernic. J’ai changé l’hypothèse sur laquelle reposait jusqu’ici le monde moral : (à) savoir que la justice est un commandement de Dieu (Selon Hobbes, elle n’est qu’une nécessité, selon Kant, elle vient de Dieu car elle suppose Dieu8 ; selon les autres philosophes, elle est un mot, une convention.
En posant le sujet comme source de la Justice, Proudhon va par là même poser le sujet comme fondement du droit. Les conséquences de cette position, sont qu’il va récuser toute source transcendante du droit, que ce soit Dieu ou l’Etat. La Justice présuppose donc que les hommes soient libres, mais cette condition de possibilité a pour conséquence qu’ils deviennent égaux et que les « formes » d’autorités disparaissent dans la société.
« De l'identité de la raison chez tous les hommes, et du sentiment de respect qui les porte à maintenir à tout prix leur dignité mutuelle, résulte l'égalité devant la justice ». A mesure donc que le sentiment de Justice apparaît parmi les hommes, ils tendent donc à se reconnaître comme égaux, l’égalité est donc un effet de la liberté, en tant qu’elle permet l’expression de la Justice. Proudhon ne considère pas le couple liberté-égalité comme antinomique mais en fait le corollaire de la Justice, qu'il considère être une dynamique, un développement.
Le refus de l’autorité est quant à lui motivé par le fait que le principe autoritaire est extérieur et qu’il commande. Dès lors, si la source du droit, ou de la justice est placée hors de l’individu, elle ne saurait être La justice, car il ne s’agirait d’un commandement que l’individu s’est donné mais qu’on lui impose. Il cesse donc d’être libre et la Justice ne peut se déployer, à la manière d’une mécanique dont l’un des rouages viendrait à manquer.
B) La liberté positive :
Pour qu’il soit juste, l’homme doit être libre nous dit Proudhon. Essayons de voir comment il conçoit la liberté, et les conséquences que cela a pour sa théorie de la justice.
Proudhon conçoit la liberté comme positive, il en dit qu'elle est ...
... "de deux sortes : simple, c'est celle du barbare, du civilisé même, tant qu'il ne reconnaît d'autre loi que celle du Chacun chez soi, chacun pour soi ; - composée, lorsqu'elle suppose, pour son existence le concours de deux ou plusieurs libertés. Au point de vue barbare, liberté est synonyme d'isolement : celui-là est le plus libre dont l'action est la moins limitée par celle des autres [...]. Au point de vue social, liberté et solidarité sont termes identiques : la liberté de chacun rencontrant dans la liberté d'autrui, non plus une limite, [...], mais un auxiliaire, l'homme le plus libre est celui qui a le plus de relations avec ses semblables."
Cette définition de la liberté, si elle n'est spécialement originale, en ce sens qu'elle est dans la lignée de la tradition libérale, introduit néanmoins un élément intéressant pour comprendre comment va se former et se justifier la notion d'association comme fondement de la société, du « lien social » pour parler en termes sociologiques. La liberté étant conçue comme une dynamique par laquelle les individus, entre en relation les uns les autre. Toute liberté individuelle, pour croître, a besoin du concours d'autre liberté, la relation avec autrui devient nécessaire, autant que voulue par un homme souhaitant être libre.
De ce caractère de réciprocité, inhérent à la liberté, se déduit qu’elle s’exprime par l’association, et que la forme de cette expression correspond au contrat. On pourrait dire que : « sans association, sans réciprocité, pas de liberté autre que celle du barbare ». L'idée qu'il faille dépasser le « chacun chez soi, chacun pour soir », permet de comprendre la solidarité, comme un principe libertaire. Le contrat apparaît pour Proudhon comme le seul moyen d'assurer l'accord de deux volontés libres. Il est l'instrument qui permet l'instauration de rapports justes entre les individus.